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«Atteindre ses objectifs climatiques sans vraiment réduire ses émissions de CO₂»

Carte blanche à Philippe Thalmann, EPF Lausanne

08.06.2021 – Le transport routier suisse n'est pas un pionnier de la décarbonation. Le fait qu'il permette néanmoins d'atteindre les objectifs climatiques du gouvernement fédéral est principalement dû à majoration sur le prix des carburants, qui est utilisée pour promouvoir les projets climatiques. La nouvelle loi sur le CO₂ renforce ce mécanisme de compensation. La majoration augmentera modérément de 1,5 à peut-être 5 centimes par litre d'essence et de diesel.

Philippe Thalmann
Image : EPF Lausanne

L'article exprime l'opinion personnelle de l'auteur et ne reflète pas nécessairement la position de l'Académie suisse des sciences naturelles.

Le transport routier est souvent accusé de ne contribuer en rien à la baisse des émissions de CO2 en Suisse et de ne pas atteindre ses objectifs de réduction. Les chiffres le confirment à première vue: Au cours des années 2008 à 2012, la consommation de carburant a été en moyenne supérieure de 13 pour cent à celle de 1990, manquant ainsi largement l'objectif de moins 8 pour cent fixé par la première loi sur le CO2 de 1999. La loi en vigueur aujourd'hui prévoit une réduction de 10 pour cent d'ici 2020 par rapport à 1990.

Merci le confinement

Depuis 2009, la consommation de carburant diminue lentement. En 2019, elle n'était que de 3 pour cent supérieure à celle de 1990, et le fait que les Suisses aient utilisé beaucoup moins leurs voitures pendant le confinement l'an dernier lui a peut-être même permis de descendre au niveau de 1990. Les chiffres ne sont pas encore disponibles. Et l'on peut craindre que l'usage des automobiles rebondira après le Covid-19.

Néanmoins, le transport routier devrait avoir atteint son objectif climatique pour 2020 – même si la consommation de carburant n'est pas vraiment inférieure à celle de 1990 – puisqu'il ne doit pas forcément réduire ses émissions de CO2! La loi stipule en effet que le secteur peut compenser 10 pour cent de ses émissions ailleurs.

Plus d'un milliard de francs pour des projets climatiques

Les importateurs et distributeurs de carburant ont uni leurs forces pour prélever conjointement une «majoration» sur les prix de l'essence et du diesel. Cet argent est versé à une fondation privée appelée KliK. Depuis 2013, ce gros pot de subventions a soutenu des centaines de petits projets de réduction des émissions avec plus d'un milliard de francs. Ce n'est pas exactement conforme à l'idéal de l'économie de marché libérale, mais c'est ce que la branche voulait. De plus, tous les projets devaient encore être validés par une agence fédérale.

À l'avenir, la branche devra compenser une part croissante du CO2 sortant des pots d'échappement avec des projets climatiques en Suisse: 12 pour cent cette année, au moins 15 pour cent à partir de 2022 et au moins 20 pour cent à partir de 2025. Ces projets risquent d'être de plus en plus difficiles à trouver à l'avenir, car les autres secteurs y investissent également de plus en plus. Il est donc probable que la compensation domestique devienne plus coûteuse pour KliK. En revanche, les compensations sont encore bon marché à l'étranger. La branche bénéficiera donc du fait qu'elle peut compenser de plus en plus à l'étranger: environ 5 pour cent pour 2022 à 2024, puis de plus en plus jusqu'à 55 pour cent des émissions en 2030. En outre, la consommation de carburant continuera à baisser à l'avenir, car les voitures deviennent plus efficaces et la population achète de plus en plus de voitures électriques. Cela est garanti par les limites d'émission pour les nouvelles immatriculations, qui seront renforcées avec la loi révisée sur le CO2.

La majoration de prix augmentera, mais pas fortement

Globalement, le pourcentage croissant de compensation en Suisse et à l'étranger ne signifie pas que KliK aura besoin de beaucoup plus d'argent qu'aujourd'hui. La majoration de prix ne devrait donc augmenter que modérément, de 1,5 centime aujourd'hui à environ 5 centimes par litre de carburant, ce qui correspond à la limite supérieure de la loi actuelle sur le CO2. Pour éviter qu'on fasse peur aux automobilistes avec des annonces de majorations de prix exorbitantes, le Parlement a également fixé une limite supérieure dans la loi révisée: 10 centimes jusqu'en 2024, 12 centimes ensuite. De tels plafonds de prix n'ont pourtant pas vraiment leur place dans la boîte à outils d'une politique climatique libérale.

Le transport routier n'est certainement pas un pionnier de la décarbonation. Mais grâce à des améliorations techniques et à une compensation étendue, il a apporté sa contribution aux objectifs de la loi sur le CO2. Avec la loi révisée, le mécanisme mis en place par la branche sera encore plus mis à contribution, mais au prix d'une proportion croissante de compensations à l'étranger.

Philippe Thalmann est professeur d'économie de l'environnement à l'EPF Lausanne et président du Conseil de fondation du Forum sur le climat et le changement global (ProClim) de l'Académie suisse des sciences naturelles.

Auteurs : Prof. Dr Philippe Thalmann

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