Faire face aux risques: «Il y a des limites à ce que l'on appelle la "médecine prédictive"»
Marta Vitale, psychologue aux Hôpitaux Universitaires de Genève, a interviewé et accompagné plusieurs centaines de personnes ayant passé un test génétique pour découvrir leur éventuelle prédisposition au cancer. Dans un livre, l'expert décrit les conséquences psychologiques qu'une telle recherche peut avoir pour les personnes concernées.
Entretien avec Marta Vitale
M. Vitale : Ce sont surtout des personnes dont les antécédents ont eu le cancer. La situation familiale est bien connue et les proposants – c'est ainsi qu'on appelle la première personne d’une famille donné qui vient en consultation – se demandent s'ils partagent le sort de leur mère et de leur sœur et s'ils développeront également un cancer. Ces personnes n'ont pas encore développé de symptômes et la préoccupation première est la prévention. Lorsque des personnes déjà malades se font tester, elles veulent savoir si elles sont malades pour la même raison que leurs proches et si leurs enfants ont aussi un risque accru de maladie.
J’ai constaté qu’en absence d’enfant, il y a plus des possibilités que la personne renonce au test. Au fond, elle vient en consultation pour mieux comprendre les conséquences d’être éventuellement porteuse d’une mutation génétique, mais sans vouloir aller plus « à fond ». On peut dire que le refus à faire le test est rare puisqu’une personne qui a accepté de participer à un conseil génétique est fortement intéressée d’en savoir plus. En revanche, certaines personnes qui, bien qu’elles aient été adressées à ce type de consultation, ne viendront jamais, par exemple à cause d’un oubli de rendez-vous, d’une anxiété, etc...
Il faut préciser qu’avant de donner le résultat du test, deux consultations d’oncogénétique ont précédé ce moment. C’est-à-dire que le concept de pourcentage de risque de développer un cancer en présence d’une mutation génétique a été clarifié. Par exemple, il faut faire la distinction entre « être porteur d’une mutation génétique » et « développer un cancer ». L’information qu’il y a un risque accru de développer la maladie en présence d’une mutation génétique peut aider les personnes à prendre des mesures de prévention les plus adaptées mais, en même temps, puisque la probabilité par exemple pour la mutation BRCA1/2 de développer un cancer du sein peut atteindre 85 pour cent, cette information peut évoquer une idée de « certitude » à développer la maladie. Il faut alors souligner dans ce cas, comme font les professionnels qui travaillent dans ce domaine, qu’il ne s’agit pas de 100 pour cent de probabilité : ceci aide la personne à ne pas se considérer comme forcement prédestinée à la maladie.
Elles sont imprévisibles et souvent surprenantes. Et parfois, la réaction immédiate n'est pas la même qu'après quatre mois. Par exemple, une personne qui voulait avoir des enfants a été très choquée au début. Après quatre mois, cependant, elle m'a dit que le fait de partager une mutation avec ces proches avait renforcé le lien au sein de la famille. Elle a donc pu tirer quelque chose de positif d'un résultat défavorable. Mais le cas contraire éxiste également. Par exemple, si le résultat d'un test d'une personne déjà malade est négatif, cela peut la troubler, car elle cherche une explication à sa maladie et en craint la cause dans son propre comportement.
La question pour le moment reste encore ouverte en Suisse. En effet, il manque une législation qui autorise le médecin à informer directement les membres des familles à risque de porter la mutation génétique détectée. Le proposant (première personne d’une famille donné qui vient en consultation) quant à lui, n'est pas obligé de communiquer son résultat génétique aux autres membres de la famille. Il lui reste la responsabilité personnelle d’informer le reste de sa famille. Toutefois, pendant les consultations d’oncogénétique, on sensibilise beaucoup la personne de l’importance de faire circuler cette information.
Aujourd'hui, nous vivons dans une ère de contrôle. Le sous-titre du livre, en revanche, souligne qu'il y a des limites à ce que l'on appelle la "médecine prédictive". La probabilité de 85 pour cent peut être considérée comme une sorte d'oracle qui laisse peu de place à l'incertitude. Pourtant, ce sont précisément les 15 pour cent restants qui ouvrent un espace libre pour permettre aux individus de faire face à une prédisposition génétique. Nous ne sommes pas déterminés par nos gènes, et s'il reste un espace d'inconnu, chaqun peut élaborer sa façon personnelle de faire face à un résultat génétique, sans devoir forcement s’y identifier.
Littérature
Vitale M (2017) Psychanalyse et prédiction génétique du cancer: La certitude de la probabilité. Eres, Cancers psy la collection