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Algorithme prédictif: « Il y a une gradation dans la fiabilité des résultats »

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Prédire le risque de développer une maladie est une des nombreuses tâches dont pourraient se charger les algorithmes dans la médecine demain. Mais qu’est-ce que la prédiction? Le statisticien Frédéric Schütz décrypte cette technologie.

Auteur: Arnaud Aubry

C’est le nouveau totem, la nouvelle boule de cristal. L’algorithme prédictif serait en train de créer une nouvelle médecine qui, grâce aux technologies et à la génétique, permettra – permettrait même déjà – de prévoir les pathologies de chacun. Frédéric Schütz, bioinformaticien et statisticien, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne et conseilleren statistique à l’Institut Suisse de Bioinformatique (SIB) décrypte cette révolution.

Frédéric Schütz:Tout d’abord, il faut démystifier ce terme. Un algorithme, en général, ce n’est rien d’autre qu’une recette de cuisine : on combine un certain nombre d’ingrédients, en l’occurrence des données, environnementales et génétiques, afin d’obtenir un diagnostic. Un algorithme prédictif a pour particularité de se concentrer sur l’avenir: son objectif est de réussir à déterminer si le patient risque d’avoir une maladie dans le futur, mais aussi quel traitement marchera le mieux, ou encore celui qui aura le moins d’effets secondaires.

Pour obtenir ces résultats, les algorithmes prédictifs s’appuient sur des études scientifiques. A partir des résultats de ces études, les scientifiques tirent des probabilités, et donc des règles de calcul que l’algorithme prendra en compte dans son équation.

Ces algorithmes, développés par des start-up, des laboratoires de diagnostic, l’industrie pharmaceutique ou par des groupes de chercheurs universitaires, ne déterminent pas si le patient aura nécessairement la maladie. Il indique uniquement les risques de développer cette pathologie.

Les maladies peuvent avoir plusieurs causes : soit génétiques, soit environnementales, soit, le plus souvent, une combinaison des deux. La maladie de Huntington par-exemple est 100 % génétique. A contrario, certaines maladies, comme les cancers liés à l’amiante, sont très peu influencées par la génétique et quasi uniquement causées par des facteurs environnementaux. L’algorithme prédictif va prendre en compte ces deux types facteurs, génétiques et environnementaux, pour établir son résultat, qui sera une probabilité, donc un risque de développer cette maladie.

Plus les médecins disposent d’informations, sur le patients, sur la maladie, plus ils peuvent affiner leurs résultats et obtenir une probabilité personnalisée. On peut ainsi prendre exemple sur Angelina Jolie. En connaissant son patrimoine génétique, et compte tenu de son histoire familiale, les scientifiques ont pu déterminer quels étaient ses risques de développer un cancer du sein. C’est ensuite l’actrice qui a décidé si elle jugeait que l’opération serait bénéfique pour elle.

La question essentielle est de réussir à comprendre à quoi correspond le pourcentage de risque que donne l’algorithme. Il y a plusieurs facteurs à soupeser. Tout d’abord la maladie à laquelle on est exposé. La décision d’intervenir variera en fonction de la pathologie à laquelle on est exposé, les traitements disponibles, ou les actions que peut prendre le patient pour diminuer le risque. Ensuite la probabilité elle-même, c’est-à-dire le pourcentage de risque de développer cette maladie. Et enfin les conséquences si l’on décide d’intervenir ou de ne pas intervenir. Il n’y a pas forcément de bonne réponse. On ne peut pas se cacher derrière les probabilités. C’est une décision hautement humaine.

L’algorithme prédictif se base sur des statistiques obtenues grâce à des études scientifiques. Or, pour qu’elles soient représentatives, celles-ci sont réalisées sur des populations importantes. Problème: passer d’une vérité statistique au niveau d’une population à une vérité statistique au niveau individuel peut être hasardeux. Car les probabilités sont constituées à partir de moyennes. On voit que la moyenne ne fonctionne pas à l’échelle individuelle. Si 50 % d’une population a un cancer, cela ne veut pas dire que chaque personne a un demi-cancer !

Dans le cas d’une maladie où le facteur génétique ne jouera qu’un rôle mineur (10 ou 20 %), la médecine prédictive ne va pas beaucoup vous aider. Il y a donc une gradation de la fiabilité de ces résultats.

Je considère plutôt que cela joue un rôle d’aide supplémentaire pour les médecins, une « evidence based medicine » (médecine fondée sur les faits). En termes de réduction de mortalité, il y a eu quelques révolutions dans la médecine : ce sont par exemples les vaccins, les antibiotiques, et les stents (la prise en charge des maladies artérielles sans intervention chirurgicale, ndlr). Rien ne nous montre que la santé personnalisée entraîne une telle révolution pour l’instant.

Mai 2019


Source et texte original

www.santeperso.ch