Le portail Web «SCNAT savoir» sert d’orientation. L'Académie suisse des sciences naturelles (SCNAT) et son réseau établissent l'état des connaissances sur la base de résultats scientifiques solides et en référence à la Suisse à l'attention de la politique, de l'administration, des affaires, de la science et de la pratique.en plus

Image : Tobias Günther, SNSF Scientific Image Competitionen plus

Voix de la recherche sur les transformations vers la durabilité

Nous avons approfondi des aspects spécifiques de la recherche sur les transformations vers la durabilité lors d’entretiens avec des chercheur·euse·s. Leurs messages clés sont résumés dans ce qui suit.

Claudia Keller : C’est l’urgence de thèmes comme le changement climatique et la crise de la biodiversité qui a pris beaucoup de place dans ma conscience. Un engagement personnel – par exemple dans l’agriculture solidaire – et le besoin de lier cela à ma recherche sont devenus plus importants (notamment à travers l’expérience de la pandémie).
Le mouvement de la recherche sur la transformation offre une large approche pour aborder ces défis. En tant que chercheuse en lettres avec une spécialisation en sciences culturelles, je vois dans les textes narratifs une possibilité de remettre en question de manière critique des connaissances qui nous semblent naturelles et de transmettre d’autres styles de pensée. C’est là que la littérature devient transformatrice.


Anne Zimmermann : La question de la motivation est centrale – si on ne se pose pas cette question, on ne peut pas faire de bonnes recherches sur les transformations vers la durabilité. Nous sommes confrontés à de crises multiples, la pauvreté, la guerre, le changement climatique, la perte de biodiversité, etc. Ce n’est pas la peur qui me motive, mais le fait que ce que j’aime risque de disparaître. Je me sens obligée de faire quelque chose, dans ma vie et dans ma recherche.


Olivier Ejderyan : Mon intérêt pour la transformation et pour la recherche sur la transformation a débuté avec mon intérêt pour un changement vers plus de durabilité et vers plus de justice – pour moi, les deux vont de pair. Ce qui a également suscité mon intérêt, c’est la question de savoir pourquoi nous avons soudainement commencé à parler de transformation, en contraste avec la durabilité par exemple. C’est un terme dans lequel mon travail s’inscrit et dans lequel je me retrouve. Mais ce terme est aussi ambivalent, je le considère d’un œil critique et le vois même parfois comme un récipient vide. Différentes questions me préoccupent, par exemple : « Transformation de quoi en quoi ? », « Qui est impliqué ? », « Quelle compréhension, mais aussi quelles pratiques se cachent derrière ce terme ? », « Pourquoi avons-nous besoin de cette nouvelle terminologie ? », « Quels nouveaux espaces sont ainsi ouverts, mais aussi fermés ? ». Dans mon travail, je participe à l’élaboration de ces processus de transformation, tout en les considérant toujours d’un œil un peu critique.


Basil Bornemann : Le discours sur la transformation est apparu au cours de mon doctorat sur l’intégration des politiques dans le contexte des stratégies de durabilité. La question s’est alors posée de savoir ce qui est exactement lié à la transformation et quelle différence ce terme marque ; quelles autres pratiques, quelles autres conceptions de l’organisation de la société et quelles conceptions de la gouvernance vont de pair avec l’introduction de la transformation dans les réflexions sur la durabilité. Ces considérations ont été le point de départ de mon exploration de la transformation. D’une part, j’ai adopté ce terme, mais d’autre part, je m’en suis aussi éloigné et je l’ai compris comme une coquille vide qui doit être remplie de contenu. Ce remplissage se fait ensuite par l’observation de la manière dont le terme est utilisé dans la société et par une réflexion critique à son sujet. Je ne dirais toutefois pas que j’utilise ce terme en contraste net avec ce qui a joué auparavant un rôle dans le discours sur la durabilité. Pour moi, la durabilité a toujours visé un changement global, intégratif et profond, de sorte que la valeur à neuf du concept de transformation est quelque peu limitée. Il est plutôt vrai que le terme transformation met l’accent sur certains éléments de la durabilité – le caractère particulièrement global, le fait que le Sud dans son entier et le Nord dans son entier sont concernés, la non-fermeture ou l’ouverture des développements – ou les accentue à nouveau. À mes yeux, il n’a toutefois pas à une valeur de nouveauté paradigmatique.


Nikolina Fuduric : J’étais arrivée à un moment de mon travail – je crois que c’était en 2016, j’avais un poste de professeure à durée illimitée – où j’étais fatiguée et peu inspirée. Je ne voyais pas l’impact de mon travail sur la société. J’ai commencé à lire différentes choses, notamment sur la pensée systémique. J’ai alors compris pourquoi j’étais si fatiguée : parce que je ne voyais pas (ou plus) les interconnexions, parce que j’évoluais dans des structures qui ne favorisaient pas la vision d’ensemble. J’ai pris une année sabbatique, j’ai beaucoup lu, je me suis penchée sur les questions philosophiques du « pourquoi ? », j’ai réfléchi à la raison pour laquelle nous faisons de la formation et de la recherche. Je me suis penchée sur le fait que je pouvais faire une différence et transformer des choses. Je suis retournée à mon travail, en décidant de me concentrer sur le Sustainable Marketing. J’ai alors constaté qu’un chaos énorme régnait dans ce domaine.

Je me suis dite : nous sommes dans une situation d’urgence dans le monde, tout le monde est impliqué et nous devons faire quelque chose ! J’ai alors entrepris de mettre de l’ordre dans le domaine du Sustainability Marketing, car c’est une condition préalable à l’impact.

Nous parlons beaucoup d’interdisciplinarité. Mais, dans nos hautes écoles, nous avons en fait peu de possibilités de nous mettre efficacement en réseau de manière interdisciplinaire et de nous lancer dans des recherches communes, car le système ne le soutient pas. En raison des systèmes d’incitation actuels, nous sommes tellement instrumentalisés et économisés que nous avons perdu de vue l’essentiel et les raisons pour lesquelles nous faisons quelque chose. J’ai donc commencé à réunir des collègues qui travaillent sur la durabilité. Nous avons créé le Sustainability Salon dans nos huit hautes écoles de la FHNW. Nous échangeons régulièrement en ligne. Nous avons fait preuve d’un certain activisme et ainsi créé un petit mouvement. Des projets interdisciplinaires sont nés du noyau dur du Sustainability Salon et nous venons de recevoir de l’argent de notre direction pour développer un Sustainable Navigator. Ce navigateur montre où les gens font des recherches sur les thèmes Sustainability et Diversity, afin de pouvoir se repérer rapidement. Nous voulons également impliquer des acteur·ice·s de la société, qui devraient aussi utiliser ce navigateur.

Les recherches sur les transformations vers la durabilité traduisent souvent l’urgence du renoncement – renoncer à la voiture, à manger de la viande, à prendre l’avion, etc. Comment peut-on transmettre le renoncement ?

Anne Zimmermann : Renoncer est difficile dans une société où le « pas suffire » est le moteur du développement sociétal. Le renoncement a une connotation négative. Nous devrions réfléchir à ce qui fait la valeur de notre vie et y porter notre attention. Nous pouvons nous exercer collectivement au renoncement, c’est plus facile, cela enlève la peur de le faire.

Dans les processus de transformation, il y a toutefois toujours des perdant·e·s, et aussi des personnes sceptiques ou hostiles à ces processus, parce qu’elles estiment que leurs projets de vie, leurs valeurs ou leurs identités seront ainsi menacés. Comment peut-on y faire face ?

Anne Zimmermann : Il est essentiel d’écouter ces personnes. « Deep Listening » signifie prendre du recul par rapport à soi-même et à ses idées et écouter vraiment. Il faut écouter, prendre ces personnes au sérieux et reconnaître ce qu’elles disent.


La recherche veut obtenir des changements vers plus de durabilité : Comment atteindre les objectifs ? Comment communiquer le renoncement ?

Claudia Keller : Ces questions me préoccupent aussi. La question du renoncement versus la joie se pose. Amitav Gosh a montré (The Great Derangment, 2016) que les textes littéraires ne sont pas seulement inoffensifs, car ils peuvent représenter la voiture comme symbole de liberté, véhiculer le plaisir de brûler des combustibles fossiles. La tâche des études littéraires est par exemple aussi de voir quelle forme de joie est transmise par les textes. Lorsque des formes alternatives de joie sont négociées, cela peut stimuler la réflexion et la transformation en offrant une autre expérience.

Existe-t-il des récits qui thématisent activement les « perdant·e·s » des transformations vers la durabilité ?

Claudia Keller : La littérature prend volontiers le parti des êtres vivants, humains ou non, qui sont marginalisés par le discours dominant. Jeremias Gotthelf, par exemple, s’interroge sur le prix de la transformation socio-économique lors de l’industrialisation. Et dans son roman « Daheim », Judith Herrmann décrit, sans le juger, un des protagonistes qui possède un immense élevage de porcs. C’est une force de la littérature que de pouvoir thématiser ce qui est décalé, ce qui ne convient pas vraiment, ceci d’une manière qui ne porte pas de jugement.


Comment transmettre le renoncement ?

Nikolina Fuduric : avec de la joie !! Il faut que cela soit de la joie et de l’inspiration. Ces narrations de catastrophes sont inutiles, nous avons des recherches qui le prouvent. Nous devons changer les narrations. Nous consommons plus que nécessaire parce que nous voulons combler un vide. Je pense que les narrations doivent contrer ce vide avec quelque chose : l’amitié, la solidarité, la joie, l’inspiration, l’esthétique. En anglais, on dit « until you become aspirational ». Nous devrions créer des solutions souhaitables, au lieu de nous reprocher ce que nous ne devrions pas faire. Pour ce faire, il est notamment utile d’utiliser des storyboards et la gamification, de collaborer avec les arts.

Comment abordez-vous les sceptiques/perdant·e·s dans les processus de transformation ?

Nikolina Fuduric : Ces personnes font partie de notre système et elles peuvent perdre leur emploi. Il est très important que nous en prenions conscience. Là aussi, il faut utiliser la pensée systémique, voir les choses dans leur ensemble, respecter les autres opinions et les autres conditions de vie.

Personnellement, je gère cette situation de manière à percevoir ma sphère d’influence. Je ne perçois pas ma sphère d’influence comme une volonté de satisfaire tout le monde, mais de voir où je peux avoir le plus d’impact. J’ai délibérément choisi de ne pas me concentrer sur les comportements de consommation, mais d’aider les entreprises à devenir plus durables. Car c’est ici que je peux avoir le plus grand impact.

Et j’espère que notre société est là pour ces personnes qui perdent leur emploi et qu’elle les soutient. C’est ce dont nous avons eu besoin pendant la révolution industrielle ou aux États-Unis lorsque l’accord ALENA a été signé. Et c’est ce dont nous avons besoin aujourd'hui. Ceci est une question morale. Nous ne devons pas abandonner les gens.

Dans la recherche Nord-Sud, la question de la dépendance/spécificité culturelle se pose toujours. Comment la transformation est-elle gérée dans d’autres régions ? Comment pouvons-nous apprendre de celles-ci ?

Anne Zimmermann : Le concept de transformation est fortement marqué par le Nord et a une dimension politique. Il serait bon d’inverser le processus de recherche, afin que les scientifiques du Sud puissent faire des recherches au Nord ou que ces personnes puissent choisir avec qui elles souhaitent collaborer au Nord. Nous aurions besoin de ce renversement. La transformation implique également une ouverture à d’autres normes scientifiques, une ouverture à des concepts tels que Pachamama* ou Ubuntu**.

* Pachamama désigne la « Terre-Mère » personnifiée, qui donne la vie, nourrit, protège et communique rituellement. La figure de Pachamama a un effet identitaire pour une partie des peuples autochtones des Andes d’Amérique latine. Elle est aujourd’hui également considérée comme base de la résistance sociopolitique et comme espoir d’une bonne vie.
**Ubuntu est une philosophie de vie d’Afrique australe, qui est portée par les concepts d’humanité et d’amour du prochain et qui désigne la conscience de faire partie d’un ensemble plus vaste.

Anne Zimmermann : La différence est historique. Alors que la recherche transdisciplinaire met encore beaucoup l’accent sur la disciplinarité, la recherche transformatrice lui accorde moins d’importance. La recherche transformatrice met l’accent sur le processus (de changement) lui-même.

L’accent mis sur l’apprentissage transformateur est-il un « acquis » qui a été mis en avant par le vocabulaire de la transformation ? Ou aurait-on pu simplement se référer à l’apprentissage mutuel (mutual learning), qui est un thème central de la recherche transdisciplinaire ?

Anne Zimmermann : l’apprentissage mutuel est insuffisant selon moi. Apprendre ensemble est important, mais l’apprentissage mutuel ne signifie pas nécessairement que l’on soit prêt à changer. En raison de l’urgence de la situation, il faut aller plus loin. L’apprentissage transformateur implique également la volonté de soi-même changer : il ne s’agit pas simplement « d’apprendre » des autres, mais d’être prêt à remettre radicalement en question sa propre perspective et à la changer. Cela implique aussi une volonté de désapprendre.

Lors de la classification des concepts et approches de recherche qui sont utilisés dans le contexte des transformations vers la durabilité, nous abordons brièvement la recherche sur l’innovation. Quels sont les concepts d’innovation qui vous influencent le plus ? Où voyez-vous les points de liaison entre la recherche sur l’innovation et la recherche sur la transformation, entre la recherche sur l’innovation et la recherche transformatrice ?


Olivier Ejderyan : Lorsqu’il s’agit d’approches qui thématisent explicitement le lien entre innovation et transformation, ce sont les approches théoriques de l’école SPRU (Science Policy Research Unit, University of Sussex) d’Angleterre qui m’ont marqué, en particulier les travaux d’Andy Sterling. Ce sont en fait des approches de recherche sur la transformation qui proviennent de la recherche sur l’innovation et il y a donc pour moi un lien clair entre les deux. D’autres écoles de recherche sur la transformation émanent d’autres directions, par exemple des Development Studies ou de la recherche transdisciplinaire.

Selon moi, ces approches sont fortement interconnectées, car ce sont aussi des approches critiques qui examinent les processus d’innovation et la transformation avec une certaine distance. Pour moi, la recherche sur la transformation est aussi une manière d’intégrer la recherche sur l’innovation. En recherche, la transformation est aussi un projet académique et politique : c’est une manière de se positionner, de revendiquer certains paysages de recherche ou de se positionner dans des domaines où la recherche sur l’innovation a peut-être été moins active jusqu’à présent. Je pense que la recherche sur la transformation peut créer un lien avec l’innovation au niveau académique et politique et dans la discussion sur les partenariats public-privé ; ceci de manière à ce que les acteur·ice·s non académiques s’y intéressent également et que la transformation soit perçue comme un moteur de l’innovation. En ce sens, c'est une manière de rassembler des mondes différents.


Basil Bornemann : Je le verrais aussi dans cette direction. La transformation est un discours qui permet d’aller chercher différent·e·s s acteur·ice·s de la science et de la pratique qui s’orientent sur l’innovation et de les intégrer dans le discours et la réflexion sur la durabilité. Ceci permet de créer une connectivité et d’entrer dans le courant dominant. Pour moi, la transformation a un caractère plus général, c’est une parenthèse générale. Les processus de transformation de la société vers la durabilité impliquent l’innovation, mais ils englobent aussi d’autres processus et activités qui sont pertinents pour les processus de transformation. La transformation de la société implique aussi une transformation de la gouvernance. Selon moi, l’accès à la transformation s’est toujours fait par le biais de la gouvernance et de l’innovation.


Olivier Ejderyan : Le champ des « innovations sociales » est très répandu dans la recherche sur la transformation. Mais c’est aussi un concept ambivalent. D’une part, l’accent est mis sur les processus sociaux et sert de contrepoids à l’idée que tout peut être résolu par des « technical fixe », c’est-à-dire par des approches technologiques. D’autre part, les changements souhaités proviennent d’une perspective normative, c’est-à-dire qu’ils sont présentés comme de l’innovation. Mais se pose alors aussi la question de savoir quels processus sont autorisés, comment ils sont pilotés, etc. Tout ceci a une influence sur les pratiques.

Qui gère les innovations sociales ?

Olivier Ejderyan : Cadrer est peut-être un terme plus adapté. Je pense notamment au soutien financier, aux projets phares, etc. Mais cela a peut-être plus à voir avec les processus de légitimation qu’avec le fait de gérer.

Olivier Ejderyan : « Seeds of Good Anthropocenes » est une approche d’innovation qui présente le changement de manière beaucoup moins linéaire que, par exemple, le concept de transition qui part « de la niche vers le courant dominant » (cf. Geels 2011). L’idée centrale de « Seeds of Good Anthropocenes » est que différentes graines – à savoir différentes initiatives individuelles – sont disséminées et grandissent ensuite, c’est-à-dire qu’elles changent d’échelle et se transforment ainsi. Cette approche est bien sûr moins attrayante pour les décideur·euse·s politiques, car l’innovation est ainsi moins contrôlable. C’est un concept qui s’est toutefois établi dans certains milieux et qui crée un lien entre différents mondes, par exemple entre la recherche, l’activisme et des formes alternatives d’entrepreneuriat.


Basil Bornemann : Il y aurait encore un point critique à ajouter à la pensée dominante de : niche-innovation-régime-transition (cf. Geels 2011) : La raison pour laquelle on est peut-être passé au terme de transformation est qu’il y a là toute une série de perspectives critiques qui entrent en jeu. Ce qui est en partie aussi discuté sous le terme d’« exnovation ». Le passage au concept de transformation implique une ouverture qui permet de thématiser plus facilement les questions de résistance, les processus de pouvoir, etc. Il permet par ailleurs de penser davantage à d’autres acteur·ice·s, mouvements sociaux et processus politiques qui sont peut-être restés en dehors du champ de l’innovation et du développement durable, même si ceci n’est pas le courant dominant. Il y a peut-être aussi une évolution qui dit que l’on peut justement compter sur la force de ces acteur·ice·s. C’est aussi le cas dans le domaine de la « Global Governance », où les acteur·ice·s de la société civile acquièrent soudain une fonction centrale lorsqu’il s’agit de maintenir et de revendiquer les processus d’innovation au niveau de la gouvernance. C’est peut-être aussi une transition vers un modèle plus inclusif, qui n’est pas seulement pensé de manière normative, mais qui peut aussi être élaboré à partir de toutes les difficultés et de tous les points critiques.

Basil Bornemann : Je considère que mon rôle est d’éclairer, de soutenir et de réfléchir aux connaissances et aux pratiques des acteur·ice·s de la science et de la pratique. Cela peut sembler être une vieille conception de la science, mais dans la perspective de la pratique, la collaboration avec les scientifiques porte souvent sur la question de la validité. Je vois mon rôle dans une distance critique, comme un accompagnement critique des processus de transformation et une réflexion sur le type de savoir que nous voulons apporter.

Savoir ce que cela signifie d’assumer un rôle critique est la question où je commence alors à réfléchir. Comment puis-je assumer un rôle critique et remplir ma « mission » d’information, ceci sans étouffer la transformation par une attitude critique ? Ce point prend de plus en plus d’importance pour moi. Comment faire de la recherche transformatrice tout en gardant un esprit critique ? C’est peut-être une position qui combine la critique externe et interne de manière productive : d'une part, nous pouvons faire passer des impulsions critiques de la science (critères normatifs, meilleures pratiques, etc.) vers la pratique et les traduire. D’autre part, nous essayons de cerner les articulations critiques qui apparaissent dans un champ de pratique – par exemple dans les administrations cantonales ou dans le domaine de la politique alimentaire – et qui, à leur tour, défient les perspectives scientifiques. Il s’agit ensuite de relier ces perspectives entre elles de manière à ce que la critique puisse être connectée et devenir transformatrice sur le terrain.


Nikolina Fuduric : En tant que chercheuse, j’aimerais mettre de l’ordre dans un grand système afin que les gens puissent s’y orienter et que le marketing ne se limite pas à réfléchir aux produits et au greenwashing. Pour cela, j’ai développé un Sustainability Marketing Canvas. Je fais de la recherche-action et j’aime résoudre les problèmes. J’ai plusieurs rôles : Sense-maker et sage-femme. Je suis une outsider (venant de l’industrie pharmaceutique/chimique, j’ai terminé ma thèse qu’à 41 ans), ce qui me permet de faire des choses inhabituelles et de remettre en question le statu quo des objectifs et des processus de recherche.

Mais honnêtement, je pense que mon rôle en classe et dans la formation continue avec les managers est tout aussi important : là aussi, je suis Sense-maker et sage-femme, mais aussi challenger, en demandant : « Êtes-vous certains d’en faire assez ? Percevez-vous votre sphère d’influence ? »

J’aimerais tellement transformer la formation. Est-ce notre tâche – en tant qu’institution de formation – de former les jeunes pour qu’ils fonctionnent comme des outils d’une société néolibérale ? Ou avons-nous besoin de jeunes gens sains qui aspirent également à la transformation, qui recherchent un impact ? Nous sommes à la croisée des chemins, arrivons à une nouvelle philosophie de la formation et à une nouvelle philosophie du travail. En tant qu’institutions de formation, nous devons répondre à cette tendance.


Olivier Ejderyan : Je vois mon rôle assez clairement comme celui d’un accompagnateur critique qui considère ces processus comme importants, mais qui remarque aussi que certains risques y sont liés, des risques qu’il faut anticiper. En tant que chercheur·euse·s, nous avons à cet égard peut-être plus de responsabilités que d’autres acteur·ice·s impliqué·e·s dans le processus, qui n’ont peut-être pas les outils pour anticiper et étudier ces risques.

À quels risques pensez-vous concrètement ?

Olivier Ejderyan : Je pense à la dépolitisation de certains processus, au risque que certaines questions, qui seraient pourtant importantes, ne soient plus du tout abordées. La dépolitisation va de pair avec la mise sous silence de certaines catégories d’acteur·ice·s, mais aussi de certaines pratiques de recherche ; je pense ici à la recherche qualitative ou aux méthodes ethnographiques par exemple. Ce type de recherche demande du temps. Mais comme tout doit aller toujours plus vite et être mesurable, il est mis de côté, ou alors il faut le faire en deux semaines. C’est un peu paradoxal : de telles méthodes sont de plus en plus acceptées, mais en même temps elles sont diluées et standardisées – je pense ici aux entretiens. Les sciences naturelles adoptent de telles méthodes, mais les adaptent à certains processus ou les rendent appropriées. C’est ce que je constate souvent dans les projets inter- et transdisciplinaires.

Les entretiens ont été menés en allemand, puis traduits en français et en anglais.

En discussion avec :

Claudia Keller

Claudia Keller, Dr., séminaire allemand, Université de Zurich

Claudia Keller s’intéresse entre autres aux transformations vers la durabilité dans les récits (Link), ceci dans une perspective d’histoire des sciences et au moyen de l’analyse littéraire. Elle s’engage par ailleurs pour l’agriculture solidaire (Link) et exerce une activité journalistique (Bsp Link).

Anne Zimmermann

Anne Zimmermann, Dr., Associated Senior Research Scientist, Centre for Development and Environment (CDE), Université de Berne

Depuis ses études, Anne Zimmermann s’intéresse aux aspects de transformations vers la durabilité, en particulier dans le contexte de la recherche Nord-Sud. Elle se consacre entre autres aux questions de formation à la durabilité (cf. groupe de travail saguf). Elle travaille actuellement sur le projet « TRACCskills – Transformational, cross cutting people skills for the SDG ».

Basil Bornemann

Basil Bornemann, Dr., Département des sciences sociales, Université de Bâle

Depuis près de dix ans, Basil Bornemann s’engage dans le domaine de la durabilité à l’Université de Bâle. Il a une formation interdisciplinaire en sciences de l’environnement et s’est spécialisé dès ses études dans les questions de sciences sociales et de durabilité. Vous trouverez ses projets actuels sous ce lien (Link).


Olivier Ejderyan

Olivier Ejderyan, Dr., Département des systèmes agroalimentaires, FiBL (Institut de recherche de l’agriculture biologique)

Spécialiste en géographie humaine, Olivier Ejderyan a très souvent travaillé dans d’autres disciplines ou de manière transdisciplinaire. Il dirige le groupe « Société & Innovation » qui gère un Transformation Lab dans le but de contribuer à l’élaboration d’une Transformation Roadmap pour l’agriculture suisse.

Nikolina Fuduric

Nikolina Fuduric, Prof. Dr., Institute for Competitiveness and Communication, FHNW (HES du nord-ouest de la Suisse)

Nikolina Fuduric est cofondatrice du Sustainability Salon de la FHNW et travaille sur la transformation dans l’économie et la formation. Elle a développé le Sustainability Marketing Canvas et s’engage dans le développement d’un Sustainable Navigator pour la FHNW et ses parties prenantes.