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«Changeons de registre au lieu de tuer: apprenons à cohabiter avec les animaux sauvages»

Carte blanche à Uta Maria Jürgens, Institut fédéral de recherches WSL

Nous partageons des espaces de vie avec des renards, des corneilles, des souris, des chevreuils et, plus récemment, des loups. Mais nos intérêts diffèrent de ceux de ces animaux sauvages. Il n’est pas rare que le comportement à adopter à l’égard de nos concitoyens animaux soit un objet de discorde entre groupes sociaux. Une cohabitation réussie permet d’expérimenter à petite échelle ce qu’il s’agit de maîtriser plus largement pour un mode de vie durable.

Uta Maria Jürgens
Image : David Rosenthal

Cet article reflète l’opinion de son autrice et ne correspond pas forcément à la position de la SCNAT.

Pour nous autres habitantes et habitants de l’Europe centrale, les loups sont un parfait exemple d’animaux sauvages qui nous mettent au défi de réduire ces conflits et de permettre une telle coexistence. Il en va de même des castors, qui transforment les cours d’eau, des corbeaux freux, que les changements structurels de l’agriculture poussent vers les espaces verts urbains, des sangliers, qui se plaisent dans les jardins, ou des araignées Nosferatu, qui se trouvent des habitats plus au nord, notamment dans les logements.

Comme le montrent mes recherches – en accord avec celles de beaucoup d’autres scientifiques travaillant dans le domaine des «dimensions humaines» –, tous ces animaux ne sont pas, pour les uns seulement une plaie et des concurrents, ou pour les autres uniquement des représentants idéalisés d’une nature résiliente. Dans un sens plus profond, les animaux sauvages incommodent et notre comportement à leur égard est révélateur de notre rapport à la nature, laquelle ne se limite pas à l’espèce humaine. Plus encore, les tensions entre les humains et les animaux sauvages, ainsi que le débat qu’elles suscitent, renvoient aux grandes questions auxquelles nous devons répondre pour assurer la pérennité de notre existence sur la Terre.

Les animaux sauvages incarnent la dynamique propre de la nature

On ne peut pas contrôler le nombre et le comportement des animaux sauvages – ou alors seulement à long terme par la force, souvent au prix de dommages collatéraux dont souffrent également les humains. Par exemple, le seul moyen efficace d’éloigner des villes les colonies de corbeaux freux consiste à élaguer radicalement ou abattre les arbres qui leur servent de lieux de nidification. Une telle mesure ne fait pas que perturber l’esthétique et les services écosystémiques des allées et des parcs. Il faut également l’appliquer en permanence, car les branches qui repoussent forment des fourches qui se prêtent encore mieux à la construction des nids. Quant aux campagnes d’effarouchement, elles ont souvent pour effet de diviser les colonies qui se réinstallent ensuite dans plusieurs nouveaux sites. En fin de compte, la solution supposée ne fait qu’étendre le problème. La tentative de venir à bout des animaux sauvages qui nous mettent au défi est un jeu de hasard dont nous ne connaissons pas les règles.

Apprendre à s’adapter

En essayant plutôt de coexister avec ces animaux incommodes, nous apprendrons à mettre en œuvre les mesures d’adaptation, fondées sur la science et connues de tous, qui sont nécessaires pour maîtriser les crises qui s’imbriquent les unes dans les autres, de l’extinction des espèces aux zoonoses et aux changements climatiques:

Reconnaître le potentiel de créativité des acteurs non humains: prendre en compte le fait que chaque animal – comme chaque être humain – a une personnalité et une perspective qui lui sont propres et agit en conséquence accroît l’efficacité des mesures de gestion. Des loups curieux, par exemple, exigent une autre approche que des loups prudents.

Nous limiter: prendre les animaux au sérieux en tant qu’acteurs signifie renoncer à notre prérogative en matière d’utilisation des ressources et limiter celle-ci massivement. Cela coûte de la croissance; ne pas le faire coûte notre survie. Protéger la nature, c’est protéger l’être humain: cet effet bénéfique se présente, par exemple, lorsque la réhydratation de zones alluviales par les castors réduit le risque de crue, ou lorsque des biotopes intacts diminuent la propagation d’agents pathogènes.

Assumer notre responsabilité: l’araignée dans un coin de la chambre estompe déjà les frontières entre la civilisation et la nature, entre le souverain humain et la masse animale à disposition. Elle montre que de telles divisions conceptuelles sont des inepties du point de vue écologique. Nous autres humains avons des aptitudes spécifiques – mais nous ne sommes pas pour autant au-dessus de la nature. Nous sommes des êtres biologiques dotés d’une responsabilité particulière.

Un profit d’abord pour nous

C’est pourquoi la coexistence avec les animaux sauvages est, à mon avis, un test pour la (re)définition de notre rôle dans l’écosystème unique et complexe qu’est la Terre. Elle doit être prise en compte au niveau pratique dans l’aménagement du territoire, l’agriculture et la législation. Nous ne pouvons pas nous soustraire à cette nécessité et nous débarrasser de celles et ceux qui nous la rappellent en les qualifiant de trublions. Tout n’est pas faisable. Les rencontres avec des animaux sauvages qui nous mettent au défi nous donnent l’occasion de le comprendre. Et si nous saisissons cette chance, notre propre espèce sera la première à en profiter.


Uta Maria Jürgens a effectué un doctorat à l’EPF de Zurich en psychologie des relations entre l’être humain et les animaux sauvages et est chercheuse invitée à l’Institut fédéral de recherches WSL. Elle publie des travaux sur l’être humain et la nature et développe des solutions créatives visant à faciliter la coexistence des humains avec les corvidés. uta.info

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