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2024
Rapport
Politique et Science : unir les forces pour un avenir durable
Dialogue 2030 meets Sustainability Science Forum, 14 novembre 2023, Berne
Le 14 novembre 2023, quelques 250 personnes ont discuté avec des expert·e·s de la manière dont la politique et la science peuvent, ensemble, faire face aux enjeux de durabilité. Un dialogue institutionnalisé avec un mandat politique clair et une implication des chercheuses et des chercheurs dès le début de l'élaboration de politiques ont ainsi été jugés pertinents. La question de savoir dans quelle mesure la science doit s’impliquer en politique reste cependant un sujet controversé. Dans ce cadre, il est essentiel que les scientifiques soient transparent·e·s afin de rester crédibles aux yeux de la politique et de la société.
Image : Johan Nöthiger
Afin d’avancer plus rapidement sur la voie complexe du développement durable, il est nécessaire de combiner les efforts. Une coopération plus efficace entre la science et la politique est notamment à explorer. Tandis que la science fournit des faits sur des situations complexes et peut proposer des possibilités d’action, il incombe à la politique de prendre les bonnes décisions dans l'intérêt de l'ensemble de la population et des autorités qui participent à l'élaboration et à la mise en œuvre des politiques.
Comment façonner une telle coopération compte tenu de l'urgence et de l'ampleur des défis mondiaux et nationaux ? Et comment celle-ci peut-elle soutenir une mise en œuvre efficace de l'Agenda 2030 ? Ces questions ont été discutées le 14 novembre 2023 à Berne lors d'un événement co-organisé par l'Office fédéral du développement territorial ARE et l'Académie suisse des sciences naturelles SCNAT, avec le soutien du Réseau des solutions pour le développement durable (SDSN) Suisse et de l'Académie suisse des sciences humaines et sociales ASSH.
Travailler ensemble sur de premières ébauches politiques
Une compréhension mutuelle des rôles de la politique et de la science est essentielle pour une collaboration efficace et constructive. Plusieurs exemples concrets où la science a participé à la gestion de crises le prouvent. C’est précisément cette compréhension réciproque qui influence en grande partie la confiance entre partenaires d’après Caspar Hirschi de l’Université de Saint-Gall.
Selon Hirschi, la task force Covid a montré à quel point le rôle très débattu de la science en tant que "honest broker" est délicat : certain∙e∙s scientifiques ont estimé que la politique n'avait pas réagi assez rapidement face à la crise, alors que certain∙e∙s politicien∙ne∙s ont refusé que la science intervienne trop fortement. De plus, la multitude d’études portant sur un même sujet comporte le risque de n’utiliser que celles qui appuient nos propres arguments.
L'expérience de Jaakko Kuosmanen, responsable de la Science Advice Initiative of Finland de la Finnish Academy of Science and Letters, montre également qu'il est difficile de s'y retrouver face au grand nombre de travaux scientifiques. Néanmoins, il estime que l'élaboration de politiques basées sur des faits est porteuse d'avenir.
D’après Kuosmanen, les thèmes transversaux complexes comme la durabilité nous obligent à repenser le conseil scientifique dans le champs politique. En Finlande, de nouvelles formes d'interactions entre la politique et la science sont ainsi expérimentées. Celles-ci vont au-delà du modèle classique de questions-réponses. Par exemple, un test est mené par les décideuses et décideurs politiques qui prennent appui sur un dialogue critique et constructif avec des scientifiques pour évaluer et remettre en question leurs projets de réglementations et de lois.
Kuosmanen voit un défi dans le fait que le monde évolue rapidement, alors que la recherche progresse relativement lentement. Il recommande donc d'exploiter davantage le potentiel de la science en l'intégrant systématiquement dans des activités d’anticipation. L'identification des tendances futures et le développement prospectif de possibilités d'action seraient ainsi mieux pris en compte et ancrés dans le processus politique.
Des réseaux institutionnalisés avec un mandat politique clair
Comme Kuosmanen, la conseillère nationale Gabriela Suter (PS, canton d'Argovie) et le chercheur en développement durable Thomas Breu (Université de Berne) se prononcent en faveur d'une institutionnalisation du conseil scientifique destiné aux politicien∙ne∙s. Selon eux, les échanges entre la politique et la science sont trop fortement organisés de manière ad hoc et passent surtout par des contacts personnels individuels. Il faudrait plutôt mettre en place des structures et des réseaux coordonnés entre toutes les institutions FRI, ce qui permettrait de surmonter les limites actuelles entre l'administration et la science.
D’après Suter et Breu, un mandat clair et un ancrage à un haut niveau décisionnel permettraient d’assurer la légitimité nécessaire. C'est ce qu’illustre également l'exemple de la Finlande, où la plateforme indépendante Science-Policy de l'Académie est directement rattachée au bureau du Premier ministre (NB : récemment, un premier pas dans cette direction a également été fait en Suisse. Le 8 décembre 2023, le Conseil fédéral a approuvé une proposition des institutions FRI au sujet de l’implication d’organes consultatifs scientifiques en temps de crise : Communiqués de presse.
Il est d'autant plus important de le souligner que les injustices sociales mondiales, la pauvreté, l'exploitation, le changement climatique et la déstabilisation des écosystèmes sont perçus comme des crises insidieuses - mais pas mineures pour autant - et non comme des dangers immédiats. Cela rend difficile une politique cohérente visant à promouvoir les changements nécessaires en faveur de la durabilité. Comme l'a souligné Suter, la modification d’une ou de deux lois ne peuvent pas résoudre des crises systémiques aussi complexes. Ces dernières requièrent un travail sur le long terme.
Une grande variété de stratégies et d’acteurs d’interface
Pour Carole Küng, co-directrice du Réseau des solutions pour le développement durable (SDSN) Suisse, entretenir des réseaux établis et à long terme sur des thèmes concrets reste un défi pour les organisations à l’intersection de la politique et de la science. Elle estime néanmoins que de tels réseaux sont indispensables pour garantir un dialogue fructueux d'égal à égal entre la politique, la science et la société. Dans le projet « Avenir alimentaire Suisse », Küng et ses partenaires ont élaboré des recommandations servant de base de discussion pour l'élaboration de politiques - formulées d'une part par un comité scientifique et d'autre part par une assemblée citoyenne. Une démarche perçue comme pertinente par la population, l'agriculture et l'industrie.
Avec l'association sectorielle Kunststoff.swiss, l'industrie dispose également d'un rôle intéressant entre les milieux politiques et scientifiques. Dans les années à venir, l'industrie du plastique doit complètement se transformer en une économie circulaire, y compris pour assurer sa propre survie. Cela nécessite un cadre politique favorable selon Patrick Semadeni, vice-président et responsable du développement durable de Kunststoff.swiss et CEO de Semadeni Industry Group. Les connaissances scientifiques sont souvent décisives, non seulement pour légitimer cette transformation et aider à la formulation de réglementations, mais aussi pour obtenir des majorités politiques favorables à ces projets.
Des organisations telles que Public Discourse Foundation assument un tout autre rôle d'interface. Comme l'a souligné sa directrice Sophie Achermann, la fondation étudie le débat public en collaboration avec le monde scientifique. Elle tente aussi de proposer des solutions pour renforcer ce débat. Cela est d'autant plus important que les attitudes et les opinions sur les thèmes du développement durable sont souvent fortement marquées idéologiquement. La collaboration avec le monde politique, mais aussi avec les médias, est centrale, notamment en ce qui concerne les discours de haine sur Internet, le droit à la liberté d'expression restant ici un aspect important à prendre en compte. Ce n'est qu'ainsi que les débats pourront se tenir en favorisant l’inclusion et en consolidant la démocratie.
Des programmes de soutien à la recherche axés sur les résultats
Les organismes de financement de la recherche peuvent également permettre d’améliorer les échanges entre la politique et la science. Par le biais d'instruments d'encouragement, ils peuvent soutenir financièrement et méthodologiquement des formats de dialogue et/ou la coopération en vue de développer des possibilités d'action fondées sur des preuves.
Dans leur nouveau rapport « Lighthouse Programmes in Sustainability Research and Innovation », les Académies suisses des sciences présentent des pistes prometteuses en matière de conception de grands programmes d'encouragement de la recherche en faveur du développement durable. Comme l'a expliqué Peter Edwards, l'un des principaux auteurs et président de l'Initiative pour la recherche sur le développement durable de la SCNAT, le rapport est conçu comme une source d'inspiration pour les institutions de promotion. Elles peuvent s'en inspirer pour développer de nouveaux programmes d'encouragement ou pour adapter ceux qui existent déjà.
Selon Kathrin Milzow, responsable de la stratégie du Fonds national suisse, un tel outil est très pratique pour concevoir par exemple des programmes de laboratoires vivants. Au sein de ceux-ci, de nouvelles idées et thèses sont testées dans des conditions de vie réelle - également à l'interface science-politique. L’implication de représentant∙e∙s de la politique et de l'administration dans l'évaluation des projets de recherche contribue par ailleurs à accroître leur pertinence pour la politique et la société. De meilleures conditions-cadres et des incitations sont également souhaitées pour encourager les chercheuses et les chercheurs à s’engager à l’interface science-politique.
Favoriser davantage les échanges
À quel point les scientifiques doivent-ils s'impliquer dans les processus de décision politique ? Si certains souhaitent une séparation claire - à savoir : les scientifiques se concentrent exclusivement sur leur travail académique, restent neutres et transmettent leurs conclusions aux politiques -, d'autres demandent un engagement beaucoup plus actif, voire même activiste, des scientifiques dans le monde politique. En particulier lorsqu’il est question, comme dans le cas de l'Agenda 2030, des menaces qui pèsent sur notre avenir commun sur Terre.
Selon le climatologue Reto Knutti (EPF de Zurich), la science et la politique doivent de toute évidence s'imbriquer davantage. Sans cela, les faits scientifiques ne seraient pas assez pris en compte, comme le montre le travail de longue haleine du GIEC. Dans le même temps, il faut être conscient d’une chose : une compréhension partagée des faits n'engendre pas forcément un consensus politique. Les positions, les valeurs, les intérêts économiques et par conséquent les possibilités d'action privilégiées sont en effet trop différentes.
D’après Knutti, la science peut contribuer de façon concrète aux débats politiques et sociétaux grâce à des dialogues institutionnalisés, de même que grâce à une transparence concernant les hypothèses et les incertitudes des données scientifiques. Ses recherches montrent que l'engagement public des chercheuses et des chercheurs ne nuit pas à leur réputation. Au contraire, leur intégrité et leur expertise favorisent plutôt leur crédibilité. Clara Zemp de la Swiss Young Academy ajoute qu'il est important de choisir consciemment sa posture entre science et activisme. Pour elle, un∙e scientifique doit faire preuve de réflexion et de transparence à cet égard (cf. https://swissyoungacademy.ch/fr/laufende-projekte/projekt-6/).
En matière de policywork et d'engagement politique de la science, la Suisse est sensiblement à la traîne par rapport à des pays comme la Grande-Bretagne, fait remarquer Julie Cantalou, co-secrétaire générale du Parti vert'libéral. Des formations continues destinées aux scientifiques et expliquant les rouages du système politique (p.ex. https://www.snf.ch/fr/bO9pxULJJ3ZuTDjL/encouragement/cours-destine-aux-scientifiques-pour-acceder-a-la-politique) peuvent y remédier, tout comme des programmes visant à renforcer la culture scientifique des politicien∙ne∙s, estime Cantalou. En outre, un soutien des chercheuses et des chercheurs aux parlementaires lors de l’élaboration de projets de loi augmente également les échanges entre les deux parties. Il en va de même pour l’octroi de bourses pour des visites au sein d’institutions de recherche, du Parlement ou dans des ambassades. Il convient de créer des structures appropriées de part et d’autre ainsi qu’à l'interface science-politique.
Un dialogue avec tous les milieux politiques
Tout au long de l’événement, plusieurs intervenant∙e∙s ont exprimé leur inquiétude face à la polarisation croissante de la société et de la politique. Interrogé en particulier sur la situation aux États-Unis, Thomas Zurbuchen, scientifique spatial à l'EPF de Zurich et ancien directeur scientifique de la NASA, préconise d’engager le dialogue avec tous les milieux politiques, même lorsque les positions divergent fortement. Selon lui, tout l'art réside dans le fait d’écouter chaque interlocuteur et de souligner la pertinence des informations scientifiques pour lui, pour ses messages et pour ses thèmes. Dans cette optique, il est essentiel de toujours restituer correctement les faits scientifiques et de rester ferme face à des personnes qui souhaiteraient obtenir d'autres conclusions.
Il ne faut pas sous-estimer le potentiel des idées émanant de la science affirme Zurbuchen. La collaboration est essentielle. Même dans des situations a priori sans espoir, des solutions peuvent être trouvées si les personnes coopèrent et unissent leurs forces.