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Impact des changements climatiques sur la phénologie dans les Alpes (Yann Vitasse, WSL)

Le réchauffement climatique a été particulièrement marqué dans les Alpes avec en moyenne une augmentation de la température annuelle de 0.36°C tous les 10 ans depuis 1970, ce qui correspond à un réchauffement moyen de 1.8°C de 1970 à aujourd’hui. Cette forte augmentation des températures a bouleversé le cycle des saisons avec une reprise de la végétation et des activités animales au printemps qui a lieu de plus en plus tôt. Cependant chaque espèce exprime une sensibilité phénologique vis-à-vis de la température qui lui est propre. Par exemple au sein d’une même forêt on trouvera des sensibilité phénologiques très différentes entre les différentes essences forestières face à une augmentation de la température (Fig. 1). Certaines essences, comme le chêne ou le frêne, sont capables d’avancer leur date de débourrement de plus de 6 jours par degré supplémentaire au printemps alors que d’autres espèces, comme le hêtre, sont moins sensibles et avancent leur date de débourrement de seulement 2 jours par degré (Fig. 1). Cette disparité de réponses entre les essences pourrait modifier l’équilibre qui existait jusqu’à présent dans nos forêts, favorisant les espèces les plus aptes à allonger leur saison de croissance suite à un réchauffement car cela leur permet d’avoir un accès plus rapide aux ressources comme la lumière, l’eau et les nutriments, garant d’une meilleure croissance.

Fig. 1: Spring phenological sensitivity to temperature increase (number of days ahead of bud break per 1 degree of warming) of different European deciduous forest species.  Data from (Vitasse et al., 2009a, Vitasse et al., 2009b, Vitasse et al., 2013, Fu et al., 2015).
Fig. 1: Spring phenological sensitivity to temperature increase (number of days ahead of bud break per 1 degree of warming) of different European deciduous forest species. Data from (Vitasse et al., 2009a, Vitasse et al., 2009b, Vitasse et al., 2013, Fu et al., 2015).Image : KPS, Yann Vitasse

De même, les interactions plantes-animaux sont régulées par des décalages phénologiques propre à chaque espèce. Des décalages phénologiques différents selon les groupes d’animaux et plantes pourraient en effet avoir un impact sur la chaîne alimentaire en entrainant des déséquilibres entre les moments ou les espèces interagissent entre elles. En effet, les plantes étant le premier maillon de la chaîne alimentaire, toute modification de leur cycle saisonnier peut également avoir un impact sur la dynamique des populations de champignons, d'herbivores et finalement des prédateurs dont les ressources et les habitats dépendent de la végétation. De même une désynchronisation entre les cycles saisonniers de différentes espèces pourrait compromettre certaines interactions bénéfiques. Un exemple concret est celui de la pollinisation des plantes via les abeilles et autres insectes pollinisateurs (papillons, diptères, etc…) qui doit être bien synchronisé pour assurer une bonne reproduction de la plante (Fig. 2).

Les changements dans la phénologie et la composition des plantes peuvent aussi affecter l'accessibilité et la qualité de la nourriture et peuvent en retour entrainer des « effets en cascades » complexes dans la chaîne alimentaire, affecter la performance des animaux et finalement modifier les aires de répartition des espèces. La qualité et la quantité de la végétation pour les herbivores changent souvent rapidement au printemps et en été. Si la quantité augmente progressivement au printemps pour atteindre un maximum au milieu de l'été, la qualité est généralement optimale peu après le début de la croissance de la végétation au printemps. Ainsi, les réponses des herbivores aux changements climatiques sont généralement en grande partie régulées par la qualité et la quantité des plantes (Rehnus et al., 2020). Un bon exemple est la date de mise-bas du chevreuil européen, qui s'est avérée être mieux corrélée à la phénologie des plantes au printemps qu'à l'altitude en Suisse (Peláez et al., 2020). De manière générale, les espèces moins mobiles et ne répondant pas aussi rapidement que la végétation au réchauffement climatique, peuvent être désynchronisées par rapport à leurs ressources alimentaires. Des décalages phénologiques différents entre espèces peuvent aussi être positifs si cela induit une désynchronisation entre un parasite et son espèce hôte. Cependant, le réchauffement climatique pourrait favoriser un grand nombre d’insectes ravageurs en accélérant leur cycle de reproduction. Par exemple, les scolytes comme le bostryche typographe sont susceptibles d'affaiblir davantage les résineux, en particulier les épicéas se trouvant sur le plateau Suisse et dans le Jura (où ils souffrent déjà de la sécheresse) car un climat plus chaud favorisent des cycles de reproduction plus courts pendant l’été (Jakoby et al., 2019).

Fig. 2. Example of positive plant-animal interaction showing a bee pollinating a flowering shrub. © Y. Vitasse
Fig. 2. Example of positive plant-animal interaction showing a bee pollinating a flowering shrub. © Y. VitasseImage : KPS, Yann Vitasse

Dans les milieux alpins, de nombreuses espèces végétales et animales dépendent de la date de la fonte des neiges qui a lieu de plus en plus tôt dû au réchauffement climatique. On estime que la date de fonte des neiges s’est avancé d’un peu plus de 5 jours tous les 10 ans depuis 1970, ce qui correspond à une avance totale d’environ 1 mois entre 1970 et aujourd’hui (Klein et al., 2016). Cependant une fonte des neiges précoce peut entraîner des conséquences très différentes selon les espèces. Par exemple, elle entraîne une reprise de la végétation plus tôt au printemps ce qui, à son tour, augmente le succès de reproduction du lagopède alpin (Novoa et al., 2008), mais diminue la taille de la portée des marmottes alpines (Tafani et al., 2013). De même, un début de végétation plus précoce dû au réchauffement pourrait augmenter la survie des bouquetins (Capra ibex) grâce à un accès plus précoce aux ressources alimentaires au printemps (Pettorelli et al., 2007), mais la réduction du manteau neigeux en hiver pourrait également réduire la qualité de la végétation disponible au printemps (Robinson & Merrill, 2012). Les conséquences du réchauffement peuvent ainsi engendrer des réponses complexes qui doivent être davantage étudiées à l’échelle de l’écosystème et pas seulement à l’échelle d’une espèce.

Une récente méta-analyse regroupant les études conduites sur la phénologie des plantes et animaux dans la région des Alpes européennes au cours des dernières décennies et qui inclut des données issues des sciences participatives confirme que les décalages phénologiques suite au réchauffement sont très différents selon les groupes taxonomiques (Vitasse et al., 2021). Alors que les insectes terrestres, reptiles, oiseaux migrateurs et plantes ont fortement réagi au réchauffement climatique en avançant leur activité printanière de 2 à 8 jours par décennie en moyenne, d’autres groupes d’organismes comme les oiseaux nicheurs, les amphibiens et les insectes aquatiques ont moins, voire pas du tout décalé leur activité printanière (Fig. 3).

La recherche concernant l’impact du réchauffement climatique sur les décalages phénologiques entre différents groupes d’animaux et de plantes qui interagissent au sein d’un même écosystème en est qu’à son balbutiement. Encore beaucoup d'autres interactions indirectes complexes entre les espèces n'ont pas encore été étudiées à ce jour car très peu de données sont collectées de manière systématique sur plusieurs groupes taxonomiques au sein d’un même écosystème. Pourtant, la manière dont s'opère la synchronisation entre, par exemple, les conditions climatiques hivernales, la diapause des insectes, l'activité des oiseaux et le démarrage de la végétation au printemps déterminera la capacité de nombreux animaux à s'adapter au changement climatique. Les sciences participatives pourraient aider, à l’avenir, les scientifiques à combler ces lacunes en permettant de regrouper un nombre considérable d’observations sur de multiples groupes d’organismes.

Fig. 3. Spring phenological change per decade for different plant and animal groups studied in the European Alpine region (extrait de Vitasse et al. 2021).  Abréviations : ldm, long distant migrants, sdm, short distant migrants; res., resident; semi-aq., semi-aquatic.
Fig. 3. Spring phenological change per decade for different plant and animal groups studied in the European Alpine region (extrait de Vitasse et al. 2021). Abréviations : ldm, long distant migrants, sdm, short distant migrants; res., resident; semi-aq., semi-aquatic.Image : KPS, Yann Vitasse

References

Fu YH, Zhao H, Piao S et al. (2015) Declining global warming effects on the phenology of spring leaf unfolding. Nature, 526, 104–107.

Jakoby O, Lischke H, Wermelinger B (2019) Climate change alters elevational phenology patterns of the European spruce bark beetle (Ips typographus). Global Change Biology, 25, 4048–4063.

Klein G, Vitasse Y, Rixen C, Marty C, Rebetez M (2016) Shorter snow cover duration since 1970 in the Swiss Alps due to earlier snowmelt more than to later snow onset. Climatic Change, 139, 637–649.

Novoa C, Besnard A, Brenot JF, Ellison LN (2008) Effect of weather on the reproductive rate of Rock Ptarmigan Lagopus muta in the eastern Pyrenees. Ibis, 150, 270–278.

Peláez M, Gaillard JM, Bollmann K, Heurich M, Rehnus M (2020) Large scale variation in birth timing and synchrony of a large herbivore along the latitudinal and altitudinal gradients. Journal of Animal Ecology.

Pettorelli N, Pelletier F, Hardenberg Av, Festa-Bianchet M, Côté SD (2007) Early onset of vegetation growth vs. rapid green‐up: Impacts on juvenile mountain ungulates. Ecology, 88, 381–390.

Rehnus M, Peláez M, Bollmann K (2020) Advancing plant phenology causes an increasing trophic mismatch in an income breeder across a wide elevational range. Ecosphere, 11, e03144.

Robinson BG, Merrill EH (2012) The influence of snow on the functional response of grazing ungulates. Oikos, 121, 28–34.

Tafani M, Cohas A, Bonenfant C, Gaillard J-M, Allainé D (2013) Decreasing litter size of marmots over time: a life history response to climate change? Ecology, 94, 580–586.

Vitasse Y, Delzon S, Dufrene E, Pontailler JY, Louvet JM, Kremer A, Michalet R (2009a) Leaf phenology sensitivity to temperature in European trees: do within-species populations exhibit similar responses? Agricultural and Forest Meteorology, 149, 735–744.

Vitasse Y, Hoch G, Randin CF, Lenz A, Kollas C, Scheepens JF, Körner C (2013) Elevational adaptation and plasticity in seedling phenology of temperate deciduous tree species. Oecologia, 171, 663–678.

Vitasse Y, Porte AJ, Kremer A, Michalet R, Delzon S (2009b) Responses of canopy duration to temperature changes in four temperate tree species: relative contributions of spring and autumn leaf phenology. Oecologia, 161, 187–198.

Vitasse Y, Ursenbacher S, Klein G et al. (2021) Phenological and elevational shifts of plants, animals and fungi under climate change in the European Alps. Biological Reviews.