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Gothard: A 1000 mètres sous terre

Peter Guntli a participé à la construction de la galerie ferroviaire la plus longue du monde. Quelques jours avant l’inauguration du tunnel de base du Gothard, le géologue se souvient.

Pfeiler zwischen der Tunnelröhre (links) und einem baulogistischen Verbindungsstollen (rechts)
Image : Ingenieurgemeinschaft Gotthard Basistunnel Süd, 04.03.2002

Ma petite fille avait 4 ans lorsqu’elle a demandé à sa tante quand j’en aurai
enfin fini avec le tunnel. «Quand tu sauras conduire une voiture», lui a répondu ma soeur. Vu sous cet angle, nous avons été plus rapides que prévu. Ma fille a 23 ans et n’a toujours pas de permis. Le tunnel,
lui, sera inauguré le 1er juin 2016. Pendant longtemps, j’ai eu de la peine à imaginer
ce moment. Et maintenant, il est là. Après vingt ans de collaboration au projet! J’ai commencé à travailler pour le chantier du Gothard un peu par hasard. Au début, je n’avais aucune expérience. Les études de géologie ne nous apprennent pas à construire une galerie ou un puits. Nous, les Suisses, nous nous tenions devant l’énorme trou noir du puits de Sedrun, regardions en bas et nous étonnions du travail effectué, là au fond, par les spécialistes sud-africains. Avec les années, j’ai acquis l’expérience nécessaire, grâce à des cours et surtout à la pratique. Et je suis devenu géologue en chef du tronçon de Sedrun.

Suivre son intuition

Notre tâche principale est d’analyser la roche rencontrée afin de conseiller les ingénieurs et les constructeurs au fil du percement de la galerie. Nous trouvons-nous devant une zone non problématique constituée de gneiss dur, où l’on peut avancer sans grand danger, et sécuriser
le tunnel simplement avec cinq centimètres de béton projeté et quelques ancrages? Ou s’agit-il d’une zone à risque avec une roche molle et «poussante» ainsi qu’un grand débit d’eau où l’on est obligé d’effectuer des forages à tâtons et de prendre d’importantes mesures de soutènement et d’étanchéité?

On dispose en général de peu de temps pour mener des tests complexes en laboratoire, car on ne saurait bloquer les travaux pendant un jour. Il existe bien des critères objectifs qui peuvent être pris
en compte de façon systématique et détaillée. Mais à la fin, c’est toujours l’intuition qui l’emporte ou, pour le dire de manière plus professionnelle: l’expérience, accompagnée naturellement d’un bon travail d’équipe.

Heureusement, la géologie n’a jamais causé de problèmes sérieux sur mon tronçon. Mais le risque d’accident sur un tel chantier est par essence élevé: lorsque, malgré toutes les précautions, un outil
tombe dans un puits de 800 mètres de profondeur, il vaut mieux ne pas se trouver sur sa trajectoire. C’est pourquoi, au début, j’avais un grand respect pour le tunnel. Plus que du respect: même si l’on s’habitue avec le temps à l’atmosphère, il reste quelque chose de particulier. Il suffit de penser aux mille mètres de roche que l’on a au-dessus de la tête, aux kilomètres parcourus dans le noir, à la lumière artificielle constante, au bruit des perforatrices.

Un poisson d’avril

Dans un tunnel, on doit travailler consciencieusement et prudemment. Ce n’est pas un endroit où plaisanter. Mes jeunes collaborateurs ont néanmoins osé une fois un poisson d’avril. Ils ont noté dans le rapport officiel qu’ils avaient trouvé de l’or et qu’ils allaient fermer le tunnel pendant les fêtes de Pâques pour prospecter le filon. Quelqu’un s’est indigné en disant que l’or appartenait aux maîtres de l’ouvrage et non aux géologues!

Nous prenons les choses au sérieux. Comme lors de cette journée difficile, dans une zone avec de nombreuses couches aquifères que nous devions explorer grâce à des forages. Nous avons fait appel à une firme spécialisée qui utilise des caméras de forage – contre un jet d’eau de dix litres par seconde. Cela n’a pas été facile. Mais nous avons finalement surmonté le problème et j’ai pu rentrer chez moi vers minuit. Mon travail me plaît toujours, le tunnel est fascinant mais aussi exigeant. Au cours des deux dernières décennies, j’étais sans cesse de piquet, le chantier fonctionnant 24 heures sur 24. Le 1er juin, je serai très heureux et très fier, mais aussi très soulagé.

Propos recueillis par Christian Weber, Magazine Horizons, Nr. 109, juin 2016.

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