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Une fêlure dans le miroir de la nature

Published in Nature, the results are a major step forward in the study of difference between matter and antimatter

Une équipe scientifique internationale a réussi à détecter une manifestation de la brisure de la symétrie fondamentale de la nature qui a permis à la matière de dominer l’Univers au détriment de l’antimatière.

Intérieur du détecteur Super Kamiokande, construit sous une montagne au Japon. Photo de 2006.
Image : Kamioka Observatory, Institute for Cosmic Ray Research, The University of Tokyo

La symétrie de la nature est brisée: l’Univers est constitué de matière tandis que l’antimatière, qui a pourtant été produite à l’origine en parts égales, a presque totalement disparu. Depuis des décennies, les physiciens tentent de mesurer cette fêlure dans le miroir parfait des lois de la physique (ou brisure de la «symétrie CP»). En 1964, ils détectent pour la première fois une différence de comportement entre des particules, appelées quarks, et leurs antiparticules, les antiquarks. Mais elle est trop faible pour expliquer les observations et n’a, depuis, été suivie par aucune autre découverte de même nature. Cela pourrait changer grâce aux efforts d’une vaste collaboration scientifique codirigée par un physicien de l’Université de Genève (UNIGE). À l’aide du détecteur Super Kamiokande au Japon, les scientifiques ont découvert que le neutrino, une des particules les plus difficiles à détecter, se comporte lui aussi différemment de l’antineutrino. Davantage de données, – c’est-à-dire des années de mesures –, sont toutefois encore nécessaires avant de pouvoir affirmer que la brisure de la symétrie CP chez les neutrinos est plus importante que chez les quarks. Cette avancée majeure en physique des particules est à lire dans la revue Nature.

Matière et antimatière se ressemblent beaucoup. Une particule d’antimatière est même en tout point identique à une particule de matière, à l’exception de sa charge électrique (et de quelques autres différences dans les nombres quantiques). L’antiélectron est par exemple chargé positivement, un antiproton négativement. Le problème, c’est que lorsqu’une particule rencontre son antiparticule, les deux s’annihilent immédiatement en émettant de la lumière. Matière et antimatière ne peuvent pas coexister.


La disparition de l’antimatière

«Si l’on remonte aux origines de l’Univers, matière et antimatière ont été produites en même temps et en quantités égales, explique Federico Sánchez Nieto, professeur au Département de physique nucléaire et corpusculaire de la Faculté des sciences de l’UNIGE et co-porte-parole international de la collaboration T2K qui a réalisé l’expérience et pris la suite des travaux du professeur honoraire de l'UNIGE Alain Blondel. Or, aujourd’hui, on ne voit que de la matière autour de nous. L’antimatière a, semble-t-il, totalement disparu, à l’exception de quelques produits de désintégration nucléaire d’interaction entre particules de haute énergie.»

La belle symétrie de la nature est donc manifestement brisée. Les physiciens l’appellent la «violation de la symétrie charge-parité» (CP). Elle est une condition nécessaire pour expliquer la domination actuelle de la matière sur l’antimatière et implique que les particules, malgré les apparences, doivent se comporter de manière différente de leurs antiparticules, ne serait-ce qu’un tout petit peu.

En 1964, les physiciens découvrent une telle différence entre des quarks et des antiquarks (les particules élémentaires qui composent les neutrons et les protons). Mais elle est très faible, trop faible pour expliquer le déséquilibre observé dans l’abondance de la matière par rapport à l’antimatière. C’est pourquoi certains chercheurs se sont tournés vers les neutrinos qui sont les particules les plus fantomatiques que l’on connaisse. Des quantités impressionnantes en traversent chaque seconde la Terre de part en part sans interagir avec un seul de ses atomes. Sauf quelques fois.


Détecter les neutrinos

Le détecteur Super Kamiokande, construit sous une montagne au Japon, est justement conçu pour détecter ces quelques neutrinos au rythme d’une poignée de particules par année. C’est un accélérateur de particules situé à Tokai, près de 300 km plus loin, qui lui fournit à volonté un faisceau de neutrinos ou d’antineutrinos.

«Il existe trois types, ou saveurs, de neutrinos: électron, muon et tau, précise Federico Sánchez Nieto. Une caractéristique surprenante de cette particule est qu’elle change parfois spontanément de saveur, passant par exemple de neutrino électron à neutrino muon. On appelle cela une «oscillation». Ce que nous avons fait, c’est de voir si les neutrinos oscillent au même taux que les antineutrinos, en l’occurrence de la saveur muon vers la saveur électron. Et il s’avère que ce n’est pas le cas.»

Il a fallu 10 ans à l’expérience T2K (Toka to Kamioka) pour collecter suffisamment de données et obtenir une statistique significative. Il a fallu également corriger tous biais liés au fait que l’environnement de l’expérience est évidemment constitué de matière et non d’antimatière. Concrètement, les physiciens ont observé en tout 90 neutrinos électrons et 15 antineutrinos électrons répondant à leurs critères. Un résultat qui, après analyse minutieuse, s’avère compatible avec une brisure maximale de la symétrie CP en faveur des neutrinos et en défaveur des antineutrinos.

«Nos résultats montrent une forte préférence pour la matière, note Federico Sánchez Nieto. Mais ils ne suffisent pas encore pour affirmer formellement que la symétrie CP a été violée. Nous sommes cependant sur la bonne voie. Pour atteindre notre but, nous allons améliorer la sensitivité de notre expérience, augmenter l’intensité du faisceau de neutrinos et accumuler plus de données.»

L’expérience T2K a été construite et est conduite par une collaboration internationale comprenant actuellement près de 500 chercheurs appartenant à 68 institutions de 12 pays différents (Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Pologne, Russie, Espagne, Suisse, Royaume-Uni, États-Unis et Vietnam). En particulier, le Fonds national pour la recherche scientifique a, notamment à travers les Universités de Genève et de Berne ainsi que de l’École polytechnique fédérale de Zurich, soutenu financièrement et scientifiquement ce projet depuis de nombreuses années.

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