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Gabriel Jorgewich-Cohen donne la parole aux tortues

...et révolutionne la biologie de l’évolution

Prix Schläfli 2024 en biologie : On a longtemps considéré les tortues comme des animaux essentiellement muets. Gabriel Jorgewich-Cohen a démontré dans sa thèse de doctorat qu’elles communiquent bel et bien par voie acoustique – et révolutionne la biologie de l’évolution. Pour son travail, il se voit décerner le Prix Schläfli en biologie.

Prix Schläfli 2024 / Gabriel Jorgewich Cohen
Image : Basil Minder

Astrid Tomczak-Plewka

Après avoir découvert un étang à poissons, son premier mot fut «maman», son deuxième «poisson». «Mon père a été assez déçu», précise Gabriel Jorgewich-Cohen. C’est par cette anecdote qu’il répond pour expliquer pourquoi il a fait des études de biologie. «Je pense que je n’avais pas vraiment le choix, c’est la biologie qui m’a choisi.» Les reptiles et les amphibiens l’ont toujours particulièrement intéressé. «J’avais des tortues comme animaux de compagnie et je voulais en savoir plus sur elles pour mieux prendre soin d’elles», raconte-t-il. Mais pendant ses études, ce Brésilien d’origine s’est vite rendu compte que peu de recherches avaient été effectuées. Et ce, notamment parce que le nombre de spécimens est limité: les tortues constituent, après les crocodiles, le deuxième plus petit groupe de vertébrés. «En outre, elles sont menacées et souvent difficilement accessibles, ce qui explique probablement pourquoi nous savons si peu de choses sur elles.»

Mais cela n’a pas découragé Gabriel Jorgewich-Cohen. Il a donc commencé à faire des recherches et est tombé, entre autres, sur des vidéos d’accouplement de tortues terrestres. «Les mâles émettent des bruits très amusants», précise-t-il. Mais sinon, les tortues étaient considérées comme des créatures essentiellement muettes qui ne communiquent pas vocalement. Ensuite, Gabriel Jorgewich-Cohen a rencontré des chercheurs qui avaient constaté que les tortues aquatiques d’Amazonie émettaient déjà des bruits à l’état d’embryon. «J’ai trouvé cela étrange. Les tortues terrestres émettent des bruits, les tortues aquatiques aussi. Ces deux représentantes des tortues ne sont pourtant pas étroitement apparentées. Qu’en était-il des autres espèces?»

«J’étais super heureux»

Gabriel Jorgewich-Cohen contacte alors un ingénieur du son, lequel va concevoir des microphones sous-marins spéciaux pour le jeune biologiste. Un nouvel univers sonore s’ouvre à lui. «C’était passionnant, dit-il. Elles émettaient toutes des bruits et j’avais même des enregistrements d’une espèce qui n’avait jamais été enregistrée auparavant. J’étais super heureux.» Toutefois, sa joie était mêlée d’incertitude, car personne n’avait jamais fait cela auparavant.

Les animaux communiquent par voie acoustique depuis plus de 400 millions d’années

Puis, Gabriel Jorgewich-Cohen est devenu doctorant à l’Université de Zurich et a travaillé sur un autre sujet. Un jour, il raconte sa découverte à son directeur de thèse, lequel le met en contact avec un bio-acousticien. De fil en aiguille, Gabriel Jorgewich-Cohen se rend dans des parcs animaliers de toute l’Europe et d’Amazonie pour recueillir des enregistrements. Finalement, il consacre trois des cinq chapitres de sa thèse de doctorat à ses observations acoustiques. Et celles-ci remettent en question certaines hypothèses de la biologie de l’évolution: jusque-là, la recherche était partie du principe que la communication acoustique dans la nature était apparue assez tard au sein de quelques groupes d’animaux et indépendamment les uns des autres. Mais Gabriel Jorgewich-Cohen et d’autres chercheurs ont recueilli environ 1800 enregistrements de 53 espèces. La conclusion s’est alors imposée d’elle-même: la communication acoustique existe depuis plus de 400 millions d’années, depuis l’apparition de la respiration nasale, dont les reptiles sont également capables. «D’un point de vue évolutif, les sons émis par les grenouilles, les oiseaux, les mammifères et les tortues sont donc les mêmes», explique le biologiste.

Créativité et enthousiasme

«Gabriel se distingue par ses approches vraiment créatives et pragmatiques sur des questions de recherche originales et par sa saine ambition, empreinte à la fois de détermination enthousiaste et de respect des autres et de l’environnement», écrit son directeur de thèse, Marcelo Sanchez. Gabriel Jorgewich-Cohen semble même être parvenu à conserver à l’âge adulte quelque chose dont beaucoup de gens rêvent: l’enthousiasme de l’enfance. «Mes passions sont très simples, dit-il. J’aime les animaux et j’aime les observer.» Voir soudain cette observation récompensée par le Prix Schläfli a été pour lui une immense surprise. «J’étais dans mon bureau quand j’ai appris la nouvelle. J’ai poussé un cri, raconte-t-il. Mes collègues m’ont d’abord apporté un shot de tequila.»

Il ne s’est d’ailleurs peut-être pas contenté de ce seul shot: Gabriel Jorgewich-Cohen aime bien aller boire quelques verres avec ses amis. Et il aime beaucoup cuisiner. «Actuellement, c’est mon passe-temps favori et je l’adapte en fonction du pays, dit-il. Quand je prépare des plats italiens, j’écoute de la musique italienne et je porte éventuellement un maillot de football italien.» Avant, il cuisinait pour sa famille, aujourd’hui pour sa petite amie. Il aimerait bien retourner au Brésil pour poursuivre ses recherches, de préférence en Amazonie. «Il y a une très grande variété d’espèces animales là-bas, ce serait génial», dit-il. En outre, sa famille et son chien lui manquent beaucoup. Il est convaincu qu’il pourra mener à bien ses projets académiques, au Brésil ou ailleurs. «Je suis ambitieux dans le sens où je souhaite que certaines choses se produisent. Alors, je trouve un moyen pour que cela fonctionne.» C’est assez logique de la part de l’homme qui a rendu audibles les sons d’animaux muets.

  • Gabriel Jorgewich-Cohen
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  • Gabriel Jorgewich-CohenImage : Basil Minder1/3
  • Gabriel Jorgewich-CohenImage : Anthony Santoro2/3
  • Gabriel Jorgewich-CohenImage : Gerardo Garcia3/3

Sujets correspondants

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Julia Reisenbauer (chimie), Gabriel Jorgewich-Cohen (biologie), Jonathan Gruber (mathématiques) et Gilles Antoniazza (géosciences) se voient décerner le Prix Schläfli 2024 pour les résultats obtenus dans le cadre de leurs thèses

Image : SCNAT

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